L’animation 3D entre l’art visuel, le cinéma et la vidéo
Ma thèse de doctorat examine le contexte dans lequel l’animation 3D prend place et fonctionne, en découvre les origines et la terminologie et documente ses plus pertinentes applications en regard de mon cheminement artistique en animation. J’examine également comment l’expérience de la limite en art a fait avancer la réflexion.
J’ai utilisé de façon très personnelle un logiciel d’animation 3D qui sert dans l’industrie de l’image animée en le détournant de ses utilisations habituelles pour produire des œuvres non figuratives et non narratives visant la création d’installations à écrans multiples. Ce type d’expérience esthétique est axé sur la perception sensible du spectateur et sur son déplacement dans l’espace et n’est donc pas « branché » sur l’interactivité. J’ai mis l’emphase sur la synthèse d’image 3D plutôt que sur la synthèse du mouvement qui prédomine au cinéma. Ce travail aux frontières de l’image animée industrielle s’élargit au-delà des notions techniques propres au médium et à son histoire et entraîne l’animation 3D à faire œuvre poétique. Mes œuvres se positionnent entre la réalité virtuelle et l’industrie cinématographique.
Mon approche du logiciel, basée sur l’expérimention et sur la recombinaison des opérations qui y sont programmées, m’a permis de le redéfinir comme un « objet technique » qui nuance l’idée du moule auquel il est souvent associé. Dans cette approche la relation occupe une place centrale pour construire un point de vue « allagmatique » c’est-à-dire où il y a opération d’échange. Simondon appelle « allagmatique » une « théorie générale des échanges et des modifications des états »1, une « théorie générale des transformations »2 et même une « théorie des opérations »3. Gilles Deleuze et Gilbert Simondon ont guidé ma réflexion dans cette recherche sur la place du logiciel dans le processus de création à l’ordinateur.
Cette approche m’a aussi permis de « déconstruire » le logiciel en termes d’environnements pour créer mon concept d’image environnementale. À chaque nouveau chapitre s’insèrent des études de cas et des incursions dans l’histoire pour mieux comprendre mes analyses.
Concepts développés dans ma thèse
Trois principaux concepts proviennent de ma démarche en animation 3D (ma « poétique informelle et recombinaire ») mais surtout de mon analyse du logiciel d’animation 3D industriel avec lequel je crée mes films d’animation non figuratifs:
- La photo simulée
- Les objets mathématiques
- L’image environnementale
1) LA PHOTO SIMULÉE
À force de travailler avec la caméra virtuelle, je me suis rendu compte que mes mises en scène virtuelles devenaient des photos simulées quand je les présentais sous forme de plan fixe. Ce sont donc des « photos » de la réalité virtuelle que j’ai construite.
Le « ça-a-été » de Roland Barthes s’en trouve détourné car cette photo simulée n’offre aucun point de référence au réel. C’est une « entre-images » selon le concept de Raymond Bellour, un lieu de passages entre les images.
Souvent, ses subtilités ne sont même pas détectables dans l’animation elle-même, surtout si l’image est non figurative. Plus encore, notre cerveau l’interprète si différemment que les spectateurs ont souvent peine à croire qu’elle provient de l’animation.
Cette photo simulée est multidisciplinaire car elle est conçue à l’aide des outils de dessin, de peinture et de sculpture, de cinéma et de théâtre du logiciel d’animation 3D. Mon exposition de thèse (à la Maison des arts de Laval en 2005) a exploré cette découverte de plusieurs façons.
2) LES OBJETS MATHÉMATIQUES
Avec mes « objets mathématiques », nous quittons les conventions picturales pour aller au cœur de l’activité numérique et en extraire la somme mathématique en formes autonomes et sensibles. J’ai emprunté cette notion aux mathématiques pour l’appliquer à une série de triangles imprimés, de grandeurs variables. Ils posent la question si les objets abstraits de la mathématique peuvent avoir un autre mode d’existence que les objets élaborés par l’esprit du mathématicien.
Ces objets sont très récents dans ma démarche : ils symbolisent les polygones (dont le plus petit élément est le triangle) qui sert à construire et à manipuler les objets virtuels utilisés pour construire mes images dans l’espace virtuel. Les objets mathématiques ouvrent sur d’autres façons de voir l’image de synthèse.
J’ai l’intention d’en faire des polygones géants et de les « installer » dans l’espace. Je veux introduire un rapport d’échelle où le spectateur peut se frôler à des « architectures d’images ». La technique informatique en trois dimensions ajoute ainsi à l’exploration artistique de l’espace physique comme lieu de passage au non figuratif virtuel (exposition à venir).
3) L’IMAGE ENVIRONNEMENTALE
L’idée de l’image environnementale m’a poursuivie tout au long de l’écriture de ma thèse avant même qu je puisse la rationaliser. J’ai réalisé qu’en travaillant à l’ordinateur, mon mode de relation pouvait être qualifié d’environnemental dans la mesure où j’identifie souvent les opérations par leur position dans l’espace. En lisant Neil Postman et son « écologie des médias » (où il tente de comprendre leur évolution dans leur globalité et dans leur environnement), j’ai aussi réalisé comment toutes mes œuvres et actions sont solidaires et dépendantes de mon environnement :
« An environment is after all a complex message system which imposes on human beings certain ways of thinking, feeling and behaving. It structures what we can see and say and therefore do, it assigns roles to us and insists on our playing them, it specifies what we are permitted to do and what we are not. »
Ces propos de Neil Postman deviennent encore plus signifiants lorsqu’on considère que toute image issue d’un système d’imagerie 3D par ordinateur est nécessairement dépendante de trois environnement différents et interreliés qui encadrent sa genèse. Cette image est donc triplement « environnementale »:
1. L’environnement logiciel de l’animation 3D inclut un ensemble de menus qui permettent de créer et modifier les fichiers et variables qui définissent les états et options du système.
2. Cet environnement de travail est un véritable plateau de tournage qui permet à l’artiste de construire et de percevoir un deuxième environnement, virtuel celui-là, dans un espace à définir et un temps de synthèse que l’artiste peut manipuler à sa guise.
3. Quand j’expose ensuite mes films, mes projections s’intègrent à l’environnement physique de mes installations. Des projections sur écrans translucides réalisent leur intégration dans l’espace par multiples réflexions qui transforment l’installation en un lieu filmique enveloppant. Mon image environnementale devient alors une espèce de synthèse de l’espace virtuel construit et de l’environnement physique. Par ailleurs, elle décrit l’ampleur d’un phénomène qui ne cesse de s’étendre au plus profond de nos vies : les images nous envahissent de plus en plus.
Depuis quelques années, les artistes inondent nos espaces d’images à très grande échelle à travers toutes sortes de projections. Elles sont souvent « installées » dans des lieux publics ou même dans l’environnement réel du spectateur. L’artiste tire parti de ce « troisième environnement ». Au lieu de masquer l’environnement physique ou de le faire oublier, les images animées à grande échelle informent toute la scène et la colorent de toutes sortes de réflexions