Le simple facteur Cheval devient propriétaire d’un palais plus que fabuleux, le planteur anonyme devient le sauveur écologiste de tout un pays intime, les Christo deviennent inventeurs d’une nouvelle finalité financière. Ces renversements impossibles ne peuvent se concrétiser qu’en maîtrisant les détails. Dieu ici, comme le diable, est dans le détail. Dans son travail Forêt/Paradigme, Forêts dans la ville, Lise-Hélène renverse littéralement le processus habituel de transformation. Ce sont les feuilles de journaux, témoins d’une actualité éphémère des deux solitudes de Montréal, qui redeviennent des arbres de mémoire collective et une forêt intemporelle. Dans le concept même de cette œuvre, les mémoires anglophone et francophone de Montréal se retrouvent enfin réunifiées dans un tout universel. Chaque arbre est le fruit d’une expérience personnelle qui, en s’accumulant en 2,000 exemplaires régénère complètement le sens privé de départ. Nous avons affaire ici à une nouvelle écologie. Replacés et réanimés dans d’autres contextes, ces mêmes arbres se retrouvent dans sa dernière exposition afin de poursuivre l’étendue des possibilités sémantiques. N’y a-t-il pas d’autres paradis à retrouver, d’autres déserts à verdir, d’autres vieux ponts à réactiver…d’autres entropies à renverser momentanément ?Je réalise que son œuvre ultime est son atelier, son incroyable laboratoire de la réparation du monde. C’est le point de départ et d’arrivée d’une accumulation intelligente et intelligible d’objets mathématiques, de dessins charnels, d’impressions numériques, de matières singulières, de sculptures parasites, d’images simulées, d’animations 3D non narratives, qui nous poussent à parcourir l’infinité chaude des trajectoires plutôt que de s’immobiliser dans la froideur d’une position.
Montréal aura-t-elle un jour une fondation comme Dia Art foundation de New-York, capable d’acheter et de faire visiter L’Atelier Idéal ? Décidément, nous avons tous une entropie à renverser.
ATELIER ELMIRE 2020